M.
Luc Douillard, de Nantes : ' Difficile de laisser s'éloigner
derrière nous l'année 2000, sans rappeler que la ville de Nantes
vient de louper une commémoration historique d'importance. En
effet, octobre et novembre 2000, c'était exactement le 500e
anniversaire du passage de Nicolas Machiavel à Nantes, visite
mémorable qui vaut à la cité d'Anne de Bretagne (alors épouse
du roi de France Louis XII), d'être la seule ville française qui
soit citée dans 'Le Prince', le fameux traité, universellement
connu, du politologue italien. ' On sait que ce premier livre,
opérant froidement la distinction entre la morale et la politique,
n'a pas très bonne réputation, ayant donné ultérieurement les
mots dérivés : machiavélien, machiavélisme, voire florentin. '
Pour autant, en décrivant avec précision les rouages de
l'oppression tyrannique, quel but poursuivait vraiment le 'très
pénétrant Machiavel', comme dira plus tard Spinoza ? Voulait-il
conseiller le Prince ? Ou bien, au contraire, alerter le peuple en
rendant publiques les pratiques secrètes de la tyrannie ? (Et quel
nouveau Machiavel aura manqué, en France, pour révéler les
turpitudes cyniques du Prince contemporain, de 1981 à nos jours ?)
' Revenons à l'automne 1500. Fonctionnaire de la république de
Florence, Machiavel est dépêché, comme secrétaire d'ambassade,
auprès de la cour itinérante du roi de France, Louis XII, ce roi
envahissant qui est un traditionnel allié de poids de la ville de
Florence, dans le jeu compliqué de la politique italienne.'
Conversations nantaises ' Pauvre Machiavel, mal payé, loin
de ses bases, chargé d'une mission délicate, il traverse à
cheval les Alpes, rencontre la cour de France vers Lyon, mais il
doit la suivre dans ses pérégrinations, tout le long de cette
Loire qui fascinera les rois français de la Renaissance. ' On voit
bien alors que le val de Loire est une sorte d'axe géopolitique
central pour un pouvoir monarchique valoisien qui braque un oeil
dirigé vers les fastes italiens et l'autre sur l'opulent et
stratégique duché de Bretagne. On ignore ce que fit exactement
Machiavel à Nantes, s'il résida au château, s'il s'enquit des
moeurs bretonnes, s'il poussa jusqu'au rivage atlantique. On sait
cependant que ses copains de bureau de la chancellerie florentine
lui écrivent des blagues érotiques et, surtout, qu'il eut des
entretiens décisifs, les 27 octobre et 2 novembre 1500, très
probablement au château des Ducs, avec l'un des principaux
personnages du royaume français, le cardinal Georges d'Amboise,
gouverneur du Milanais, couramment appelé Roueno ou Roeno par les
Italiens, car il était également archevêque de Rouen. ' Ce qui
nous vaut ce passage mémorable du chapitre III du 'Prince'.
Machiavel y rappelle ses conversations nantaises de l'automne 1500
: 'Et de cette manière, je parlai à Nantes avec le cardinal de
Rouen au temps où le Valentinois (ainsi nommait-on communément
César Borgia, fil du pape Alexandre) s'emparait de la Romagne :
car comme le cardinal de Rouen me disait que les Italiens
n'entendaient rien à la guerre, je lui répondis que les Français
n'entendaient rien à la politique ; car s'ils y eussent entendu
quelque chose, ils n'auraient pas laissé l'Eglise venir à tant de
grandeur.' ' Peut-être que ce souvenir, et le fait que la ville de
Nantes soit la seule localité française (d'ailleurs juridiquement
bretonne à l'époque !) qui soit citée dans 'Le Prince', aurait
pu provoquer quelques commémorations locales pour l'occasion, à
la fin du XXe siècle par ailleurs
particulièrement 'machiavélique' : banquet d'époque et bal
Renaissance, allocutions, pose d'une plaque, colloque savant sur
l'actualité de Machiavel dans l'exercice du pouvoir contemporain.
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