mardi 22 novembre 2016

Centenaire nantais de la mort de Fernand Pelloutier, 1901-2001


Quotidien Ouest-France du 09/02/2001




M. Luc Douillard, de Nantes : ' C'est le mardi 13 mars prochain que les Nantais pourront commémorer le centenaire, jour pour jour, de la mort cruelle de Fernand Pelloutier, personnalité à la fois nantaise et nazairienne et l'une des grandes figures mythiques du premier mouvement ouvrier français. ' 

Fernand Pelloutier est mort de la tuberculose, à l'âge de 33 ans seulement, dans la misère matérielle, après plusieurs années de dévouement à la tête de la Fédération nationale des Bourses du travail, entre 1895 et 1901. Pour comprendre le ' mythe ' de Pelloutier, on pourrait le comparer, toutes proportions gardées avec l'attachement farouche des écrivains surréalistes pour une autre mémoire attachée à Nantes, celle du jeune dandy pré-dadaïste Jacques Vaché. Dans des domaines bien différents, certes (encore que Pelloutier soit venu à l'anarchisme par le biais de la bohème littéraire), il s'agit bien de deux vies tragiquement écourtées, qui sont apparues comme des trajectoires d'étoiles filantes : incandescentes et sans concessions ni renoncements. ' 

Les Pelloutier étaient une famille de huguenots (protestants français) chassés par la Révocation de l'Edit de Nantes, devenus Allemands, puis revenus en France avant la Révolution, d'abord comme consuls de Prusse pour la Bretagne, en poste à Nantes, dès 1760. ' 

Un siècle plus tard, le jeune Fernand Pelloutier fit son petit séminaire à Guérande (séjour dont il est renvoyé en 1882, il en conservera un solide anticléricalisme !), puis il est collégien à Saint-Nazaire, où il fut ensuite rédacteur en chef au journal de gauche ' La démocratie de l'Ouest ' et devint ami d'Aristide Briand, un autre ' Nanto-Nazairien ', futur prix Nobel de la paix. Ils forgèrent ensemble le thème mobilisateur de la ' grève générale '. Mais tandis que Briand devait évoluer ensuite vers le centrisme et faire une brillante carrière ministérielle, Pelloutier allait rester jusqu'au bout fidèle à ses convictions. '

Pour être résolument anarchiste, Pelloutier n'en était pas moins opposé à tout sectarisme. Il professait une sympathie ouverte pour Jean Jaurès qui le lui rendait bien. Et il n'hésita pas défendre hautement la République contre les antisémites, à l'époque cruciale de l'affaire Dreyfus. '

Si les Bourses du travail ont pris une place originale dans le mouvement syndical français, comme unions interprofessionnelles de base, on le doit notamment à l'infatigable Pelloutier qui y voyait des établissements ouverts, dotés de bibliothèques, de centres d'études et même de musées du travail : des instances irremplaçables d'éducation du prolétariat dans la connaissance de ' la science de son malheur ', comme il disait. '

Au sein d'un mouvement ouvrier alors agité par de grandes discussions, Pelloutier était parvenu à faire adopter sa position originale par plusieurs congrès nationaux et notamment celui tenu à Nantes en 1894. On peut la résumer ainsi : la ' grève générale ' révolutionnaire anticapitaliste ; la primauté du syndicalisme, contre les marxistes et les parlementarismes ; la non-violence, contre les attentats d'extrême-gauche, et contre toute conquête autoritaire du pouvoir. Il avait tenté de frayer par avance la voie des combats ultérieurs de tous les opprimés, des syndicalistes anonymes du monde entier, de Gandhi et de Martin Luther King, de la société civile contre l'apartheid sud-africain, de Solidarnosc, de Sakharov... et plus près de nous du nouveau mouvement citoyen anti-spéculatif, illustré récemment à Seattle et à Millau. On ne peut oublier sa célèbre formule résumant ce qui séparait ses espoirs de ceux des dirigeants du Parti socialiste (de l'époque !) : 'Nous sommes en outre ce qu'ils ne sont pas : des révoltés de toutes les heures, des hommes vraiment sans dieu, sans maître et sans patrie, les ennemis irréconciliables de tout despotisme, moral ou matériel, individuel ou collectif : c'est-à-dire des lois et des dictatures (y compris celle du prolétariat) et les amants passionnés de la culture de soi-même.' (1899). '

Il existait au début du siècle dernier un canal Pelloutier, aujourd'hui comblé, près du débouché sud de l'actuel pont Anne-de-Bretagne, à Nantes. Le mardi 13 mars 2001 au soir, il serait bon d'y aller déposer des fleurs dans la Loire, en souvenir du vaillant lutteur libertaire, et puis d'y inviter tous les Nantais qui le souhaitent à boire un apéritif ensemble et à chanter des airs ouvriers, pour la ' Sociale ' et en mémoire de ce centenaire si jeune. '

Source documentaire : Jacques Julliard, ' Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d'action directe ', Seuil éd., coll. L'Univers historique, 1971, 556 pages.