Quotidien
Ouest-France du 03/05/2001
A
plus d'un siècle de distance Fernand Pelloutier est toujours
d'actualité.
Point de vue développé par Luc Douillard, militant de
Neuf (Nantes est une fête).
En quoi Pelloutier est-il toujours
d'actualité ?
Il a raison à l'usage des faits : le siècle qui
vient de s'achever restera marqué comme celui des totalitaires et
des fascistes. Or les gens de son esprit, les socialistes
libertaires, les anarcho-syndicalistes étaient conscients du danger
que faisait courir la prise du pouvoir autoritaire défendue par les
marxistes-guesdistes.
Qu'en penser aujourd'hui au début du XXIe
siècle ?
On nous dit que le vieux modèle hiérarchique avec un
centre dirigeant et une périphérie qui obéit, est fini. C'est le
cas de l'Etat Nation, de l'Eglise ou du marxisme-léninisme. Bien des
observateurs prévoient une société décentralisée donc sans
centre dont le modèle serait Internet. Dans ce cas les Post-modernes
n'ont rien inventé parce que c'était déjà la conception de
Pelloutier et ses amis. Les bourses du travail - il en a fait passer
le nombre de 33 à 81 en 7 ans - visaient à émanciper les
travailleurs. Mais ces bourses du travail sont devenues des lieux
institutionnalisés... Le mouvement ouvrier s'est vite bureaucratisé.
La CGT a été créée un an après sa mort lors du congrès de
Limoges. Pelloutier était réticent. Il freinait. Il préférait une
fédération souple des bourses du travail avec un appareil réduit.
Là encore, la question est d'actualité. Il suffit de comparer la
CFDT d'aujourd'hui à la Confédération autogestionnaire des années
1970. Que dirait selon vous Pelloutier des syndicats d'aujourd'hui ?
J'imagine qu'il dénoncerait un syndicalisme qui repose de plus en
plus sur les élections professionnelles et se passe de plus en plus
de militants. Ce syndicalisme contemporain est intégré dans un
maximum d'institutions paritaires et fait tourner une machinerie très
lourde.
Et que trouverait-on dans des bourses du travail fidèles à
Pelloutier ?
Il voulait faire des bourses du travail des centres
d'éducation du prolétariat et de culture selon des formules qui
restent d'actualité comme ' instruire pour révolter '. Pelloutier a
aussi écrit des textes sur l'importance d'un art social : que
dirait-il aujourd'hui sur les influences dégradantes de la
télévision et la culture subventionnée...
Et le ' grand soir '
serait toujours de mise ?
Pelloutier, contrairement aux
marxistes-guesdistes, ne pense pas que la révolution est proche et
inéluctable. Il dit souvent que la réussite de la grève générale
révolutionnaire est subordonnée à l'éducation prolétaire. Il
exprime une sérieuse défiance vis-à-vis de la politique. Les
ouvriers doivent, selon lui, apprendre à autogérer l'économie, la
productivité dans leur ville et leur région. Un point est également
très important : il tourne le dos à la violence. Il propose enfin
une réforme radicale du système financier. Cela fait écho aux
luttes actuelles de mouvements tels qu'ATTAC, qui proposent eux aussi
une réforme radicale en instaurant une taxe sur les flux spéculatifs
improductifs.
Recueilli par Thierry BALLU.
Luc Douillard, militant de
Neuf (Nantes est une fête) : un lecteur assidu de Jacques Julliard,
auteur de ' Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme
d'action directe ', paru au Seuil. 2216352
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