jeudi 10 novembre 2016

Recreuser l'Erdre comme la Bièvre à Paris (Ouest-France, courrier des lecteurs, 3 novembre 1998)

Luc Douillard de Nantes : « La Brièvre refait surface dans la banlieue de Paris. » On apprend dans Le Monde que cette rivière va retrouver l'air libre. L'unique affluent de la Seine à Paris (tristement canalisé dans son parcours final en collecteur d'eaux usées) est en cours d'assainissement, et va être rouvert sur 1,8 km à Massy, dès l'été prochain. Ceci grâce au travail patient du SIAVB (Syndicat intercommunal pour l'assainissement de la vallée de la Bièvre), qui a réintroduit, avec l'eau propre, les pêcheurs et les promeneurs (17 km de sentiers piétonniers et cyclistes créés sur les rives). « Cette histoire exemplaire nous ramène à Nantes, où depuis bientôt dix ans, nous réclamons - non pas de recreuser les cours comblés de l'Erdre et de la Loire - mais d'ouvrir en préalable une étude pluridisciplinaire, transparente et contradictoire, destinée à estimer en connaissance de cause, si cela est souhaitable et possible. « Dix ans durant lesquels les manifestations de « Nantes c'est capitale ! », puis de « Nantes est une fête ! NEUF » ont souvent rencontré un écho favorable de la part des simples citoyens, et suscité de nombreux observateurs à Nantes. En revanche, nous nous sommes toujours affrontés à un silence total sur ce sujet auprès des autorités locales, des spécialistes de l'aménagement comme de ceux du patrimoine maritime et fluvial. « Il s'agit pourtant d'un projet mobilisateur pour Nantes, qui unirait tout à la fois éthique et esthétique, mémoire et futur, utopies et contraintes budgétaires, civisme solidaire et développement économique durable, citoyenneté et expertise, « agir local » et « penser global »... bref : marier l'esprit des lieux et l'esprit du temps. « Faut-il comparer l'ignorance condescendante, face à cette demande nantaise, avec l'écoute actuelle des institutions parisiennes, alors que le collectif associatif « Renaissance de la Bièvre » recevait samedi dernier, à Paris, un trophée régional de l'environnement ? Et que même le malencontreux Jean Tibéri s'est montré attentif à ce projet ? Faut-il considérer que ce qui est désormais faisable à Paris est encore trop beau pour les Nantais ? » Un patrimoine pour le futur « Faut-il aller jusqu'à comparer les mérites archéologiques de l'Erdre et de la Bièvre ? Le lit pavé de cette dernière, explique Le Monde, est « un véritable gisement archéologique, que l'on retrouve presque intact dans de nombreux sous-sols de la capitale, comme au pied de la manufacture des Gobelins ». « Mais le patrimoine fluvial souterrain semble avoir moins de valeur à Nantes qu'à Paris. Notamment lorsque l'on se souvient qu'en janvier 1992, et sans aucun débat ni annonce préalable, les tracto-pelles avaient commencé à détruire plusieurs centaines de mètres linéaires des anciens quais enfouis de l'Erdre comblée. « L'appareillage et le parement sont dans un état magnifique qui n'a pourtant pas empêché ces vénérables vestiges d'être sauvagement émiettés par un pilonnage mécanique dont la promptitude d'exécution peut surprendre », disions-nous dans un rassemblement que nous organisions d'urgence le surlendemain dimanche matin, en parodiant des fouilles archéologiques à la façon Indiana Jones, sous l'oeil des passants et des journalistes. « Peut-on impunément casser, et sans nécessité, un patrimoine intact qui appartient aux générations futures ? Est-il bien raisonnable de détruire de vrais quais fluviaux, pour en figurer (à grands frais) de factices, délimitant des carrés de pelouse autour de l'île Feydeau ? « N'est-ce pas le devoir des aménageurs d'imaginer et de prévoir ? Prévoir à long terme pour préserver les intérêts des générations futures. Prévoir à court terme les évolutions rapides des tendances et des demandes culturelles et sociales. (On l'a vu avec la calamiteuse destruction d'une tour de l'usine LU, survenue dans l'indifférence générale, il n'y a guère que 20 ans, ceci sans parler du sort funeste du pont transbordeur.) « En cette année 1992, alors que la mutilation des quais de l'Erdre était toujours en cours, nous avions demandé les raisons de leur étrange passivité dans cette affaire à l'architecte des bâtiments de France et au directeur régional des Affaires culturelles, Drac, tutelle des services archéologiques). « Quels sont vos services (et ceux placés sous votre direction ou votre tutelle) qui sont intervenus sur ce chantier ?... Avez-vous procédé à un inventaire de l'ensemble du patrimoine fluvial enterré de Nantes (anciens quais, ponts, écluses et autres ouvrages) ?... Sinon, pourquoi ? Avez-vous constaté que les quais étaient conservés en bon état, propres à recouvrer leur fonction originelle dans le cadre d'un éventuel recreusement ? » Etc. « Des années plus tard, nous nous étonnions toujours de n'avoir reçu aucune réponse de ces deux administrations publiques (cf Forum des lecteurs, six après, 18 décembre 1997). « Pourtant, l'ex-Venise de l'Ouest mérite assurément plus de considération. Mais peut-être faut-il que revive la Bièvre, pour que renaissent l'Erdre et la Loire, en leurs lits respectifs. L'exemple parisien viendra-t-il (un peu tard ?) pour éclairer les conceptions parfois quelque peu obscurantistes de certaines élites nanto-nantaises ? »« Peut-être faut-il que revive la Bièvre pour que renaissent l'Erdre et la Loire... en leurs lits respectifs. »

Notre photo : les travaux de comblement de la Loire dans le bras de la Bourse.