Des rescapés racontent l'enfer aux lycéens
Plusieurs
centaines de survivants des bombardements de Nantes (1463 morts en
septembre 1943) sont retournées, hier, sur les lieux du drame,
guidées par des élèves d'un lycée professionnel. Petit à
petit, l'horreur est sortie des mémoires, allégeant le fardeau si
longtemps porté.
« J'ai aperçu un bout de ciel bleu. Je me suis dit : on est sauvés. » Michelle, qui avait 13 ans sous les décombres le 16 septembre 1943, lève les yeux : « Un ciel bleu, comme aujourd'hui. » L'histoire est ainsi faite. Soixante ans après les bombardements qui ont détruit le centre de Nantes, les survivants sont redescendus hier dans les rues de "l'enfer", sous le même ciel arrogant qu'à l'époque. Plusieurs centaines de personnes ont répondu à l'appel lancé par Luc Douillard. Ce professeur de français et d'histoire-géo du lycée professionnel nantais Jules-Michelet souhaitait réunir, sur le lieu même du drame, des rescapés et des élèves de sa classe de terminale BEP plomberie.
Un retour sur une période sombre de l'histoire de Nantes. Le 16 septembre 1943, à 16 h, les avions américains anéantissent soudain le cœur de la ville : du port à la place de Bretagne, place Royale, l'Hôtel-Dieu... Durant deux jours, une pluie de bombes s'abat sur les habitants: 1 463 morts et 2 500 blessés. Une ville sinistrée, traumatisée. Les Nantais n'avaient jamais imaginé être la cible des avions qu'ils voyaient si souvent voler au-dessus de leurs têtes. Il y avait déjà eu plus de 320 alertes, rarement suivies d'une attaque.
Sur son bout de trottoir, Michelle, les larmes aux yeux, achève son récit. « Échappée du porche où j'étais réfugiée avec ma maman, je criais : au secours, on n'est pas mort. » Aujourd'hui, elle ne peut oublier « la rue du Calvaire en feu, les hurlements ». Près d'elle, d'autres survivants accompagnés de trois lycéens attentifs, Olivier, Jean-Marie et Maxime. Jacques prend la parole. « Je suis sorti en catastrophe du cinéma où on jouait Le Comte de Monte-Cristo. Ce cinéma-là, juste à côté. J'ai vu l'enfer. J'étais seul, complètement traumatisé. » Les uns après les autres, ils racontent l'horreur. Du sang, beaucoup de sang, des gens livides, des corps entassés et des appels désespérés d'enfants. Ces minutes qui ont bouleversé leur vie et dont ils n'ont, pour certains, jamais parlé.
Pourquoi Suzanne ose-t-elle, aujourd'hui ? Elle avait 15 ans. Elle raconte sa fuite avec sa maman et sa petite sœur de 26 mois, sous un porche place Graslin, puis au commissariat, près de la Cigale. « Quelqu'un nous a dit "couchez-vous"». Je me suis réveillée, ensevelie sous les décombres. Suzanne conserve au fond d'elle cette sensation d'horreur : « en me relevant, j'ai marché sur un corps. » La petite sœur pleurait dans les bras de sa maman. Celle-ci, conduite dans un hôpital de fortune à demi-consciente, mourut quelques heures plus tard.
Olivier, Jean-Marie et Maxime jouent les accompagnateurs appliqués, très attentifs aux témoignages précis des anciens, surpris par ce flot continu de paroles. Les survivants ressortent des photos jaunies du drame et de l'après-16 septembre. Yves avait 6 ans. Il tire de son sac l'ours en peluche de son enfance. Ce jour-là, le petit garçon serrait Tintin dans ses bras, réfugié sous la guinguette pendant que tombaient les bombes dans la Loire. Le fleuve où il se baignait quelques minutes plus tôt, sur la petite plage de Trentemoult. Ce sont les milliers de poissons, ventres en l'air, qui l'ont effrayé.
Se remettre à parler du traumatisme, mais aussi revoir ceux dont on n'avait plus de nouvelles... Près de l'église Saint-Nicolas, au milieu des immeubles aujourd'hui reconstruits, Yves discute avec Michel. Leurs mères étaient amies intimes. Ils ne s'étaient jamais revus depuis septembre 1943. « Les bombardements ont coupé tous les liens. Après, on est reparti de zéro », explique Michel.
A l'écoute de cette génération meurtrie par la guerre, les jeunes du lycée Michelet réalisent peu à peu l'intensité de l'événement. « On a bombardé ici comme en Irak. Je suis contre la guerre. C'est inutile de perdre des vies ainsi. Surtout qu'à Nantes, on a visé la ville et non les bases militaires », observe Jean-Marie. Maxime retiendra de cette journée sa rencontre avec une dame très émue, qui lui a confié son histoire. « Je me suis approché d'elle pour l'aider à reprendre ses esprits. »
Leur enseignant, lui, se réjouit du succès de la journée : « Les élèves ont été emportés par le sérieux de l'affaire. C'est le début d'un vrai travail. » La publication d'un livre est envisagée.
Vanessa RIPOCHE.
« J'ai aperçu un bout de ciel bleu. Je me suis dit : on est sauvés. » Michelle, qui avait 13 ans sous les décombres le 16 septembre 1943, lève les yeux : « Un ciel bleu, comme aujourd'hui. » L'histoire est ainsi faite. Soixante ans après les bombardements qui ont détruit le centre de Nantes, les survivants sont redescendus hier dans les rues de "l'enfer", sous le même ciel arrogant qu'à l'époque. Plusieurs centaines de personnes ont répondu à l'appel lancé par Luc Douillard. Ce professeur de français et d'histoire-géo du lycée professionnel nantais Jules-Michelet souhaitait réunir, sur le lieu même du drame, des rescapés et des élèves de sa classe de terminale BEP plomberie.
Un retour sur une période sombre de l'histoire de Nantes. Le 16 septembre 1943, à 16 h, les avions américains anéantissent soudain le cœur de la ville : du port à la place de Bretagne, place Royale, l'Hôtel-Dieu... Durant deux jours, une pluie de bombes s'abat sur les habitants: 1 463 morts et 2 500 blessés. Une ville sinistrée, traumatisée. Les Nantais n'avaient jamais imaginé être la cible des avions qu'ils voyaient si souvent voler au-dessus de leurs têtes. Il y avait déjà eu plus de 320 alertes, rarement suivies d'une attaque.
Sur son bout de trottoir, Michelle, les larmes aux yeux, achève son récit. « Échappée du porche où j'étais réfugiée avec ma maman, je criais : au secours, on n'est pas mort. » Aujourd'hui, elle ne peut oublier « la rue du Calvaire en feu, les hurlements ». Près d'elle, d'autres survivants accompagnés de trois lycéens attentifs, Olivier, Jean-Marie et Maxime. Jacques prend la parole. « Je suis sorti en catastrophe du cinéma où on jouait Le Comte de Monte-Cristo. Ce cinéma-là, juste à côté. J'ai vu l'enfer. J'étais seul, complètement traumatisé. » Les uns après les autres, ils racontent l'horreur. Du sang, beaucoup de sang, des gens livides, des corps entassés et des appels désespérés d'enfants. Ces minutes qui ont bouleversé leur vie et dont ils n'ont, pour certains, jamais parlé.
Pourquoi Suzanne ose-t-elle, aujourd'hui ? Elle avait 15 ans. Elle raconte sa fuite avec sa maman et sa petite sœur de 26 mois, sous un porche place Graslin, puis au commissariat, près de la Cigale. « Quelqu'un nous a dit "couchez-vous"». Je me suis réveillée, ensevelie sous les décombres. Suzanne conserve au fond d'elle cette sensation d'horreur : « en me relevant, j'ai marché sur un corps. » La petite sœur pleurait dans les bras de sa maman. Celle-ci, conduite dans un hôpital de fortune à demi-consciente, mourut quelques heures plus tard.
Olivier, Jean-Marie et Maxime jouent les accompagnateurs appliqués, très attentifs aux témoignages précis des anciens, surpris par ce flot continu de paroles. Les survivants ressortent des photos jaunies du drame et de l'après-16 septembre. Yves avait 6 ans. Il tire de son sac l'ours en peluche de son enfance. Ce jour-là, le petit garçon serrait Tintin dans ses bras, réfugié sous la guinguette pendant que tombaient les bombes dans la Loire. Le fleuve où il se baignait quelques minutes plus tôt, sur la petite plage de Trentemoult. Ce sont les milliers de poissons, ventres en l'air, qui l'ont effrayé.
Se remettre à parler du traumatisme, mais aussi revoir ceux dont on n'avait plus de nouvelles... Près de l'église Saint-Nicolas, au milieu des immeubles aujourd'hui reconstruits, Yves discute avec Michel. Leurs mères étaient amies intimes. Ils ne s'étaient jamais revus depuis septembre 1943. « Les bombardements ont coupé tous les liens. Après, on est reparti de zéro », explique Michel.
A l'écoute de cette génération meurtrie par la guerre, les jeunes du lycée Michelet réalisent peu à peu l'intensité de l'événement. « On a bombardé ici comme en Irak. Je suis contre la guerre. C'est inutile de perdre des vies ainsi. Surtout qu'à Nantes, on a visé la ville et non les bases militaires », observe Jean-Marie. Maxime retiendra de cette journée sa rencontre avec une dame très émue, qui lui a confié son histoire. « Je me suis approché d'elle pour l'aider à reprendre ses esprits. »
Leur enseignant, lui, se réjouit du succès de la journée : « Les élèves ont été emportés par le sérieux de l'affaire. C'est le début d'un vrai travail. » La publication d'un livre est envisagée.
Vanessa RIPOCHE.