mardi 22 novembre 2016

Commémoration manquée : Machiavel à Nantes il y a 500 ans









Quotidien Ouest-France du 19/01/2001

M. Luc Douillard, de Nantes : ' Difficile de laisser s'éloigner derrière nous l'année 2000, sans rappeler que la ville de Nantes vient de louper une commémoration historique d'importance. En effet, octobre et novembre 2000, c'était exactement le 500e anniversaire du passage de Nicolas Machiavel à Nantes, visite mémorable qui vaut à la cité d'Anne de Bretagne (alors épouse du roi de France Louis XII), d'être la seule ville française qui soit citée dans 'Le Prince', le fameux traité, universellement connu, du politologue italien. ' On sait que ce premier livre, opérant froidement la distinction entre la morale et la politique, n'a pas très bonne réputation, ayant donné ultérieurement les mots dérivés : machiavélien, machiavélisme, voire florentin. ' Pour autant, en décrivant avec précision les rouages de l'oppression tyrannique, quel but poursuivait vraiment le 'très pénétrant Machiavel', comme dira plus tard Spinoza ? Voulait-il conseiller le Prince ? Ou bien, au contraire, alerter le peuple en rendant publiques les pratiques secrètes de la tyrannie ? (Et quel nouveau Machiavel aura manqué, en France, pour révéler les turpitudes cyniques du Prince contemporain, de 1981 à nos jours ?) ' Revenons à l'automne 1500. Fonctionnaire de la république de Florence, Machiavel est dépêché, comme secrétaire d'ambassade, auprès de la cour itinérante du roi de France, Louis XII, ce roi envahissant qui est un traditionnel allié de poids de la ville de Florence, dans le jeu compliqué de la politique italienne.' Conversations nantaises ' Pauvre Machiavel, mal payé, loin de ses bases, chargé d'une mission délicate, il traverse à cheval les Alpes, rencontre la cour de France vers Lyon, mais il doit la suivre dans ses pérégrinations, tout le long de cette Loire qui fascinera les rois français de la Renaissance. ' On voit bien alors que le val de Loire est une sorte d'axe géopolitique central pour un pouvoir monarchique valoisien qui braque un oeil dirigé vers les fastes italiens et l'autre sur l'opulent et stratégique duché de Bretagne. On ignore ce que fit exactement Machiavel à Nantes, s'il résida au château, s'il s'enquit des moeurs bretonnes, s'il poussa jusqu'au rivage atlantique. On sait cependant que ses copains de bureau de la chancellerie florentine lui écrivent des blagues érotiques et, surtout, qu'il eut des entretiens décisifs, les 27 octobre et 2 novembre 1500, très probablement au château des Ducs, avec l'un des principaux personnages du royaume français, le cardinal Georges d'Amboise, gouverneur du Milanais, couramment appelé Roueno ou Roeno par les Italiens, car il était également archevêque de Rouen. ' Ce qui nous vaut ce passage mémorable du chapitre III du 'Prince'. Machiavel y rappelle ses conversations nantaises de l'automne 1500 : 'Et de cette manière, je parlai à Nantes avec le cardinal de Rouen au temps où le Valentinois (ainsi nommait-on communément César Borgia, fil du pape Alexandre) s'emparait de la Romagne : car comme le cardinal de Rouen me disait que les Italiens n'entendaient rien à la guerre, je lui répondis que les Français n'entendaient rien à la politique ; car s'ils y eussent entendu quelque chose, ils n'auraient pas laissé l'Eglise venir à tant de grandeur.' ' Peut-être que ce souvenir, et le fait que la ville de Nantes soit la seule localité française (d'ailleurs juridiquement bretonne à l'époque !) qui soit citée dans 'Le Prince', aurait pu provoquer quelques commémorations locales pour l'occasion, à la fin du XXe siècle par ailleurs particulièrement 'machiavélique' : banquet d'époque et bal Renaissance, allocutions, pose d'une plaque, colloque savant sur l'actualité de Machiavel dans l'exercice du pouvoir contemporain. '

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