Télérama
Reportage
Dans ce reportage pour Télérama,
Thierry Leclère rappelle que c'est Luc Douillard et les militants de
Nantes Est Une Fête à Nantes « qui ont remis dans le débat
public, en 2004, le programme du CNR. Avec le concours de
l’association altermondialiste Attac,
ils ont organisé un colloque pour le 60e anniversaire du
programme ».
La résistance citoyenne mobilise aux Glières
- Thierry Leclère
- Publié le 16/05/2011. Mis à jour le 17/05/2011 à 11h29.
Lien vers l'article en ligne :
http://www.telerama.fr/monde/la-resistance-citoyenne-mobilise-aux-glieres,68843.php
Hessel mais aussi des caissières en
grève ou l’avocate tunisienne Radhia Nasraoui : grands Résistants
d’hier et citoyens militants d’aujourd’hui, ils étaient
plusieurs milliers réunis samedi 14 et dimanche 15 mai sur le
plateau des Glières, en Haute-Savoie. Comme chaque année depuis
2007, ils ont défendu les principes fondateurs du Conseil national
de la Résistance.
Evidemment, il y avait la possibilité de rebrousser chemin, de ne
pas monter, dimanche, dans la fraîcheur et les flocons de neige, à
1400 mètres d’altitude sur le majestueux plateau des Glières, en
Haute-Savoie, pour écouter des paroles de Résistants d’hier et de
militants d’aujourd’hui. De quel poids médiatique pouvaient bien
peser les caissières d’Ed d’Albertville, en
grève contre le travail le dimanche, ou même les souvenirs émus
de Pierre Pranchère, résistant communiste à quinze ans dans le
maquis corrézien, face à la déferlante DSK qui arrivait comme une
onde de choc de New York ? Dès l’aube, France 2 avait déjà
choisi : elle rapatriait son équipe des Glières vers Lyon « au cas
où » le maire strauss-kahnien Gérard Collomb ferait une
déclaration à mettre en boite pour le « 20 heures »… Ce qu’il
ne fit pas. Résultat, pas de plateau des Glières, hier, pour le «
20 heures ».Comme chaque année depuis 2007, une petite association savoyarde, aussi têtue en cette Savoie UMP qu’un village d’Asterix, résiste pourtant, avec ses maigres moyens et l’énergie de ses cinquante bénévoles, à la « récupération » par Nicolas Sarkozy du plateau des Glières, symbole de la résistance des maquisards en 1944. Le président de la République en a fait son lieu de pèlerinage annuel. Chaque printemps, avant ou après sa visite, l’association Citoyens Résistants d'hier et d'aujourd'hui convie donc de grands Résistants d’hier et des citoyens militants d’aujourd’hui à se retrouver autour des Jours heureux, titre romantique du prophétique programme du Conseil national de la Résistance (CNR) de mars 1944. Un programme très à gauche, adoubé par la droite républicaine et gaulliste comme par les communistes, qui dessinait les contours de la France d’après-guerre. Celle de la sécurité sociale, des nationalisations et des grands services publics.
Samedi 14 mai, à l’occasion de ce
rassemblement des Glières, Stéphane Hessel (l’auteur
d’Indignez-vous !), Raymond Aubrac, Daniel Cordier
(l’ancien secrétaire de Jean Moulin), le syndicaliste Georges
Séguy et encore une douzaine d’anciens grands Résistants et
Résistantes ont publié un appel
tourné résolument vers l’avenir : à l’orée des élections
présidentielles et législatives de 2012, ces grands anciens
demandent aux candidats de ne pas oublier les acquis du programme du
CNR, « qui constitue toujours un repère essentiel de l'identité
républicaine française ». Le texte exhorte notamment les
candidats à « reconstituer les services publics et institutions
créés à la Libération pour aller vers une véritable démocratie
économique et sociale », à « renforcer la démocratie
parlementaire au détriment de notre régime présidentiel
personnalisé » et à « assurer à nouveau la séparation
des médias et des puissances d’argent ».
Dans l’assistance, un Nantais de 51 ans, Luc Douillard, mesurait le chemin parcouru. L’histoire est peu connue mais c’est ce prof d’histoire dans un lycée professionnel et ses quelques copains libertaires de l’association « Nantes est une fête » qui ont remis dans le débat public, en 2004, le programme du CNR. Avec le concours de l’association altermondialiste Attac, ils ont organisé un colloque pour le 60e anniversaire du programme et fabriqué, avec treize Résistants, cette vidéo qui a circulé depuis sur le net :
Luc Douillard, l’auteur de cet appel
boudé en 2004 par Le Monde comme par Libération,
savoure sa revanche, sans se départir de son humour critique : «
C’est pas si bien écrit, ce sont des phrases un peu longues… »
Trois ans après ce premier appel, l’association Citoyens
Résistants d’hier et d’aujourd’hui a donc pris le relais avec
l’idée du rassemblement au plateau des Glières. Puis est né un
film, Walter,
retour en résistance, un portrait du résistant Walter
Bassan réalisé par Gilles Péret, tous deux animateurs du
rassemblement des Glières. Puis encore un livre, tiré à plus de 17
000 exemplaires, Les Jours heureux (1). Le succès
phénoménal d’Indignez-vous ! (2,2 millions
d’exemplaires) a pris sa source lui aussi en Haute-Savoie puisque
les éditeurs d’Indigène, Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou,
ont eu l’idée de ce livre après avoir eu vent de l’intervention
de Stéphane Hessel, en 2009, sur le plateau des Glières.
Construire un « nouveau programme de la Résistance pour notre siècle », comme essaient de s’y atteler depuis quelques mois les Citoyens Résistants d’hier et d’aujourd’hui est en revanche une autre histoire. La question de l’Europe et bien d’autres lignes de fracture divisent cette mouvance militante des Glières, qui va du centre gauche à la gauche radicale. En conférence de presse, les grandes figures de la Résistance se sont d’ailleurs un peu écharpé, samedi 14 mai, sur l’Europe, l’euro et la nécessité – ou non – d’en sortir.
Mais dimanche 15 mai, les flocons de neige n’ont pas fait fondre l’enthousiasme. Les papys de la résistance et leur inaltérable soif d’idéal ont une fois encore remonté le moral des jeunes générations. « On me dit souvent, de votre temps, c’était simple, on savait contre qui résister. Mais aujourd’hui ? » rapporte Stéphane Hessel, par ailleurs titillé par le public pour son engagement en faveur de Nicolas Hulot. « Résister contre quoi ? C’est moins compliqué qu’on ne le croit. Le programme de 1944 se battait avec clarté contre les féodalités économiques, pour la liberté de la presse, etc. Ces valeurs du CNR ne sont toujours pas respectées aujourd’hui. Ajoutez à cela la dégradation de la planète et les injustices dont sont responsables les grandes puissances économiques, qui ne recherchent que le profit, et vous retombez aujourd’hui sur les mêmes valeurs fondamentales que celles pour lesquelles nous nous sommes battus. »
(1) Les Jours heureux (le programme du Conseil National de la Résistance de mars 1944 : comment il a été écrit et mis en œuvre, et comment Sarkozy accélère sa démolition), un livre de l’association Citoyens Résistants d’hier et d’aujourd’hui, éd. La Découverte, qui vient de sortir en poche.