Luc Douillard de Nantes : « La Brièvre
refait surface dans la banlieue de Paris. » On apprend dans Le Monde
que cette rivière va retrouver l'air libre. L'unique affluent de la
Seine à Paris (tristement canalisé dans son parcours final en
collecteur d'eaux usées) est en cours d'assainissement, et va être
rouvert sur 1,8 km à Massy, dès l'été prochain. Ceci grâce au
travail patient du SIAVB (Syndicat intercommunal pour
l'assainissement de la vallée de la Bièvre), qui a réintroduit,
avec l'eau propre, les pêcheurs et les promeneurs (17 km de sentiers
piétonniers et cyclistes créés sur les rives). « Cette histoire
exemplaire nous ramène à Nantes, où depuis bientôt dix ans, nous
réclamons - non pas de recreuser les cours comblés de l'Erdre et de
la Loire - mais d'ouvrir en préalable une étude pluridisciplinaire,
transparente et contradictoire, destinée à estimer en connaissance
de cause, si cela est souhaitable et possible. « Dix ans durant
lesquels les manifestations de « Nantes c'est capitale ! », puis de
« Nantes est une fête ! NEUF » ont souvent rencontré un écho
favorable de la part des simples citoyens, et suscité de nombreux
observateurs à Nantes. En revanche, nous nous sommes toujours
affrontés à un silence total sur ce sujet auprès des autorités
locales, des spécialistes de l'aménagement comme de ceux du
patrimoine maritime et fluvial. « Il s'agit pourtant d'un projet
mobilisateur pour Nantes, qui unirait tout à la fois éthique et
esthétique, mémoire et futur, utopies et contraintes budgétaires,
civisme solidaire et développement économique durable, citoyenneté
et expertise, « agir local » et « penser global »... bref :
marier l'esprit des lieux et l'esprit du temps. « Faut-il comparer
l'ignorance condescendante, face à cette demande nantaise, avec
l'écoute actuelle des institutions parisiennes, alors que le
collectif associatif « Renaissance de la Bièvre » recevait samedi
dernier, à Paris, un trophée régional de l'environnement ? Et que
même le malencontreux Jean Tibéri s'est montré attentif à ce
projet ? Faut-il considérer que ce qui est désormais faisable à
Paris est encore trop beau pour les Nantais ? » Un patrimoine pour
le futur « Faut-il aller jusqu'à comparer les mérites
archéologiques de l'Erdre et de la Bièvre ? Le lit pavé de cette
dernière, explique Le Monde, est « un véritable gisement
archéologique, que l'on retrouve presque intact dans de nombreux
sous-sols de la capitale, comme au pied de la manufacture des
Gobelins ». « Mais le patrimoine fluvial souterrain semble avoir
moins de valeur à Nantes qu'à Paris. Notamment lorsque l'on se
souvient qu'en janvier 1992, et sans aucun débat ni annonce
préalable, les tracto-pelles avaient commencé à détruire
plusieurs centaines de mètres linéaires des anciens quais enfouis
de l'Erdre comblée. « L'appareillage et le parement sont dans un
état magnifique qui n'a pourtant pas empêché ces vénérables
vestiges d'être sauvagement émiettés par un pilonnage mécanique
dont la promptitude d'exécution peut surprendre », disions-nous
dans un rassemblement que nous organisions d'urgence le surlendemain
dimanche matin, en parodiant des fouilles archéologiques à la façon
Indiana Jones, sous l'oeil des passants et des journalistes. «
Peut-on impunément casser, et sans nécessité, un patrimoine intact
qui appartient aux générations futures ? Est-il bien raisonnable de
détruire de vrais quais fluviaux, pour en figurer (à grands frais)
de factices, délimitant des carrés de pelouse autour de l'île
Feydeau ? « N'est-ce pas le devoir des aménageurs d'imaginer et de
prévoir ? Prévoir à long terme pour préserver les intérêts des
générations futures. Prévoir à court terme les évolutions
rapides des tendances et des demandes culturelles et sociales. (On
l'a vu avec la calamiteuse destruction d'une tour de l'usine LU,
survenue dans l'indifférence générale, il n'y a guère que 20 ans,
ceci sans parler du sort funeste du pont transbordeur.) « En cette
année 1992, alors que la mutilation des quais de l'Erdre était
toujours en cours, nous avions demandé les raisons de leur étrange
passivité dans cette affaire à l'architecte des bâtiments de
France et au directeur régional des Affaires culturelles, Drac,
tutelle des services archéologiques). « Quels sont vos services (et
ceux placés sous votre direction ou votre tutelle) qui sont
intervenus sur ce chantier ?... Avez-vous procédé à un inventaire
de l'ensemble du patrimoine fluvial enterré de Nantes (anciens
quais, ponts, écluses et autres ouvrages) ?... Sinon, pourquoi ?
Avez-vous constaté que les quais étaient conservés en bon état,
propres à recouvrer leur fonction originelle dans le cadre d'un
éventuel recreusement ? » Etc. « Des années plus tard, nous nous
étonnions toujours de n'avoir reçu aucune réponse de ces deux
administrations publiques (cf Forum des lecteurs, six après, 18
décembre 1997). « Pourtant, l'ex-Venise de l'Ouest mérite
assurément plus de considération. Mais peut-être faut-il que
revive la Bièvre, pour que renaissent l'Erdre et la Loire, en leurs
lits respectifs. L'exemple parisien viendra-t-il (un peu tard ?) pour
éclairer les conceptions parfois quelque peu obscurantistes de
certaines élites nanto-nantaises ? »« Peut-être faut-il que
revive la Bièvre pour que renaissent l'Erdre et la Loire... en leurs
lits respectifs. »
Notre photo : les travaux de comblement de la
Loire dans le bras de la Bourse.