mardi 22 novembre 2016

Courrier des lecteurs en réponse à un interlocuteur critiquant le mouvement des 500 postes.

Quotidien Ouest-France du 05/03/2002



M. Luc Douillard, parent d'élève et conjoint d'enseignante en grève, de Nantes, réagit au courrier de M. P.B. «  Élisez donc votre ministre de l'Éducation nationale » (O.-F. du 27 février):
« Il est assez rare qu'une institutrice soit nommément accusée de manipuler les parents d'élèves et les enfants scolarisés. Ne prenons pas trop au sérieux ces accusations, d'où qu'elles viennent. De même qu'il ne faut pas trop chercher à connaître le statut professionnel de l'auteur qui a courageusement signé son courrier par des initiales.
« Or, ce lecteur d'Ouest-France semble particulièrement attaché à la date fétiche de 2007. C'est une année lointaine, qui, comme trop peu de gens ordinaires y songent déjà (bon sang mais c'est bien sûr !), sera la date de la prochaine réélection de l'actuelle municipalité nantaise. Faut-il en conclure que notre accusateur travaille pour le « château »? Et qu'il ferait partie de cette innombrable domesticité, dorée mais précarisée, qui doit tous ses revenus et son avancement à la fortune politique d'un certain ministrable ?
« N'insistons pas. Il vaut mieux aller au fond des arguments de monsieur P.B. Voici donc une idéologie singulière à l'œuvre, au détour d'un banal courrier des lecteurs. Ce texte anonyme, qui veut venger la mairie, révèle hélas les obsessions d'une certaine gauche qui a fini par perdre la tête, choisissant en tout ce qu'il y a de pire, cumulant simultanément les dégâts de l'ultralibéralisme à la Tony Blair et les défauts de l'ultradirigisme à la Mitterrand. Le tout dans un dépit hargneux contre la société civile et contre l'égalité, contre la créativité et contre la liberté de penser, enfin contre l'indépendance citoyenne.
« Alain Minc et Alain Madelin n'auraient pas mieux formulé leur mépris des enseignants du public. Qu'on en juge.
« Méthode 1 : culpabiliser. Il manquerait 500 postes d'instituteurs en Loire-Atlantique ? Plutôt que de se s'interroger sur les causes de ce déficit exceptionnel au plan national, notre courageux correspondant anonyme proclame... que tout cela c'est d'abord et aussi la faute des enseignants de Loire-Atlantique ! C'est ce qui s'appelle renvoyer en touche. Il paraît d'ailleurs qu'au CHU, c'est pareil, on y pressurerait les postes plus que dans les autres hôpitaux du reste de la France. Que se passe-t-il donc à Nantes ? Les contribuables d'ici vaudraient-ils moins que ceux d'ailleurs ? Serait-ce l'envers de « l'Effet Côte Ouest » ? Il est vrai que depuis 20 ans, tous les gouvernements favorisent la fonction publique non-productive et bureaucratique, aux dépens des vrais services publics que sont l'enseignement et la santé. Mais chut, il paraît que c'est un secret.
« Méthode 2 : Mépriser. Selon monsieur P.B., il faudrait que les enseignants apprennent enfin à se remettre en cause et à innover... Comme s'ils n'avaient pas attendu ce conseil paternel, alors que les résultats scolaires en Loire-Atlantique sont parmi les meilleurs de France. Malgré des classes surchargées et des remplacements non assurés.
« Méthode 3 : Hiérarchiser et précariser. Toujours selon monsieur P.B., la solution du grave problème de l'échec scolaire est enfin à portée de main ! Il suffisait d'y penser : il n'y a qu'à revoir le système de notation des enseignants (c'est-à-dire qu'on puisse enfin introduire une forte dose de favoritisme, comme dans le secteur subventionné). Et puis, il n'y a qu'à donner du pouvoir hiérarchique aux directeurs d'écoles primaires (qui l'ont d'ailleurs toujours refusé par souci d'égalité avec leurs collègues).
« Hiérarchisation à outrance et précarisation... ces méthodes n'ont-elles pas fait la preuve de leurs effets pervers ? Partout où elles ont été expérimentées ? C'est un vrai débat de société.
« On voit bien là le dépit des nouveaux personnels de la gauche institutionnelle, dépit rageur face à un groupe social : le corps enseignant qui (comme d'autres groupes sociaux) n'a pas encore perdu ni son indépendance statutaire, ni son indépendance morale, ni surtout son utilité sociale.
« Hé oui, qu'ils sont irritants, les instits ! Ils ne font même pas grève pour leurs propres avantages catégoriels, mais dans l'intérêt des enfants. C'est à n'y rien comprendre. Vivement que l'Éducation nationale soit rattachée aux féodalités politiques locales, et l'on y mettra bon ordre ! N'est-ce pas Monsieur P.B. ?
« En attendant, repérons les mauvais sujets et désignons-les dès aujourd'hui à la vigilance publique. Voilà ce que suggère notre vengeur masqué. Est-ce bien raisonnable ? »