*
* *
SOMMAIRE :
1979-1982 :
LES ANNÉES « HOU ».
- 1982-1986 : LES ACTIONS Á L'EST DERRIÈRE LE RIDEAU DE FER
- 1983-1989 : CONTRE LES COMPLICITÉS NANTAISES POUR L'APARTHEID SUD-AFRICAIN
- 1980-1989 : LA RENCONTRE DU PARTITO RADICALE ITALIEN
- 1989 Á MAINTENANT : POUR L'AMOUR DE NANTES, « NANTES C'EST CAPITALE ! » ET LE RECREUSEMENT DE L'ERDRE, « NANTES EST UNE FÊTE » (NEUF) , OBSLAB.
- 1995 : LA TRANSPARENCE AUTOMATISÉE DES COMPTABILITÉS PUBLIQUES SUR INTERNET
- 1997-2004 : LE « RÉVEILLON DU 1ER MAI » POUR LA TAXE TOBIN ET CONTRE LES MARCHÉS FINANCIERS, INDIRECTEMENT AUX ORIGINES D'ATTAC
- 2000 À MAINTENANT : LA FÊTE DES LANGUES DE NANTES
- 2002 : LE PREMIER BUREAU DE VOTE « BIS » ET REFERENDUM SAUVAGE EN FRANCE
- 2004 À MAINTENANT : APPEL À CÉLÉBRER ET ACTUALISER LA MÉMOIRE DU PROGRAMME SOCIAL DE LA RÉSISTANCE (CNR), L'APPEL DES RÉSISTANTS AUX JEUNES GÉNÉRATIONS
- 2004 : « DÉCAPOL », OU DIX DROITS POLITIQUES NOUVEAUX, COMME UN DÉCALOGUE D'UNE NOUVELLE DÉCLARATION DES DROITS HUMAINS, POUR LE SIÈCLE QUI VIENT.
- 2011 : APPEL « JE SUIS GREC », INTERNATIONALE ADELPHIQUE
- ET LES VIOLENCES POLICIÈRES ?
- EN CONCLUSION
*
* *
Vous pouvez télécharger en PDF l'ensemble des archives de Luc Douillard ["Documentation nantaise"] en PDF et en trois tomes :
Tome 1 : 1978 - 1983 / les années H.O.U. / les années INSOUMIS / les années PARTITO
Tome 2 : 1984 - 2000 / les années APARTHEID / les années YOUGOSLAVIE / les années N.E.U.F. / les années NANTES c’est capital / les années ALLUMÉS / les années DOLÉANCES / les années 1er MAI
Tome 3 : 2001 - 2017 / les années FÊTE des langues / les années INÉDIT / les années BOMBARDEMENTS / les années APPEL des résistants / les années ADELPHIQUES / les années FLASHBALL
*
* *
Tiens
pourquoi faire maintenant un bilan de ma vie publique consciente
depuis 40 ans ? Peut-être que les mois de décembre sont
propices aux bilans. Peut-être aussi parce que l'ambiance
crépusculaire qui caractérise la vie démocratique française en ce
moment précis est le signe qu'avec 2017, nous arrivons à la fin
d'un cycle générationnel et politique.
Ce
modeste bilan personnel concerne évidemment aussi le collectif de
tous mes amis compagnons et compagnes de lutte depuis 40 ans. Mais
cet écrit n'engage que moi.
Lorsque
je suis sorti des brumes de l'enfance vers l'âge de 17 ans environ,
autour de l'an 1977, j'ai eu la grande chance que le hasard de mes
rencontres et de mes lectures m'ait révélé les trois connaissances
suivantes, que je n'ai jamais perdues de vue jusqu'à ce jour :
AXIOME
I
Dans
la vie, il faut toujours si possible :
1
- Ne respecter que ce qui est respectable (c'est-à-dire ni la
richesse ni l'autorité) ;
2
– Toujours prendre la défense des plus faibles, des plus
vulnérables et des plus fragiles, même lorsqu'ils ne sont pas
sympathiques (ce qui signifie d'abord les êtres humains bien
entendu, mais aussi les autres êtres vivants, la nature, les lieux
et paysages, les choses de l'esprit, l'art et la poésie) ;
3
- Toujours tenter de se mettre à la place d'autrui, pour comprendre
ses propres raisons culturelles ou psychologiques et pour coopérer
avec sa part de sincérité, si précaire soit-elle ;
4
- Distribuer à tous sans compter bienveillance et bonne humeur ;
5
- Et pour finir, afin de rester complètement disponible à ces
objectifs, savoir refuser à temps les positions de pouvoir et l'abus
d'avantages personnels.
AXIOME
II
Dans
toute situation d'injustice donnée, la seule personne individuelle
ou collective qui puisse remporter (peut-être) une victoire sans
provoquer ensuite un supplément d'injustice et de désespoir, c'est
celui qui aura eu la force de briser le cycle mimétique et répétitif
de la violence, de la tristesse, de la peur, de la résignation, de
l'inhibition, grâce à des dispositifs nouveaux de non-violence, de
non-tristesse, de non-peur, de non-résignation, de non-inhibition.
AXIOME
III
La
plupart des familles et institutions de la gauche et de
l'extrême-gauche, sont plus que jamais, fossilisées, cléricalisées,
infiniment traîtresses et inaptes à incarner leurs propres
proclamations émancipatrices et leurs déclarations de principe.
Elles ne sont pas la solution, mais le problème. Elles verrouillent
hermétiquement le champ des possibles et viennent stériliser chaque
tentative à la source. En conséquence, il faut inlassablement,
patiemment, constructivement, inventer des propositions très
concrètes d'actions directes créatives, si possible réussies, dont
les gens ordinaires que nous sommes tous puissent se saisir ensuite
librement sans intermédiaire ni tuteur idéologique
(« empowrement »).
Ceci
sur la durée 1977-2017 ! Évidemment, ces trois beaux axiomes
se sont affrontés au réel, c'est à dire au grand tournant de la
« Grande mondialisation des appétits égoïstes
déréglementés », désastre perpétré en 40 années par le
capitalisme occidental avec le concours des ateliers esclavagistes de
la Chine totalitaire, assistés par les porte-conteneurs et la
finance électronique.
Ce
désastre global a brisé partout les fragiles équilibres
civilisationnels, parfois hérités des vieilles sagesses écologiques
et spirituelles, souvent issues plus récemment de l'humanisme
européen laïc et ouvrier ou encore plus récemment des leçons de
la résistance aux totalitarismes nazi et communiste. Tout a été
dévasté, et dans cette crise sont apparus les nouveaux monstres :
désinhibition idéologique de l'arrogance, du racisme, de la
violence pure et du profit matériel, obscurantisme et mépris de la
pensée, peur généralisée imposée d'en haut, haine de soi et
méfiance des autres, complaisance officielle pour la laideur et le
mensonge, le tout sous la nouvelle angoisse, combattue à coups de
distractions misérables, d'un dérèglement climatique suicidaire
pour l'humanité. Oui, c'est notre génération qui a été
honteusement trahie et battue.
Si
bien qu'on peut se dire : À quoi bon avoir tenté d'agir pour
le salut commun depuis 40 ans alors que tout a régressé en sens
inverse et que les points d'appuis eux-mêmes
disparaissent désormais ? C'est le moment de retrouver la
fameuse citation de Samuel Beckett : oui, nous avons échoué,
nous avons trébuché à plusieurs reprises, mais en nous relevant,
nous dirons encore :
« Déjà
essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore.
Échoue mieux. »
Samuel
Beckett : Wordstward Ho, 1983, « Cap à l'ouest »,
traduit en français sous le titre de Cap au pire (1991,
éditions de Minuit)
Alors,
voici le moment d'énumérer une série de tentatives d'actions
originales, qui ont toutes connues pour des raisons diverses des
échecs patents, des semi-échecs, des ratages après avoir failli
triompher, et puis aussi cette forme spécifique d'échec qui est une
grande réussite qui n'a jamais été connue ou reconnue du public.
« Caramba, encore raté ! » Si bien que nous disons
avec Beckett : « Échoue encore. Échoue mieux »
parce qu'aucun de ces « échecs » n'a été vécu sans
avoir gagné quelque chose, sans avoir été jouissif, réjouissant,
fraternel, instructif, révélateur, prometteur, et qu'aucun n'a
épuisé sa force neuve de désir et de subversion.
*
* *
1979-1982 :
LES ANNÉES « HOU ».
Nous
tentons d'implanter à l'Université de Nantes un syndicalisme
autogestionnaire dans l'esprit Lip-Larzac du cher PSU anti-nucléaire.
Ça ne marche pas si mal, mais très vite, nous tombons
malheureusement dans l'orbite de l'UNEF parisienne, où nous croisons
des jeunes gens du PS et du trotskisme qui sont tous obsédés par
leurs carrières prometteuses (si bien que 40 ans plus tard, ils sont
effectivement devenus célèbres comme nos actuels chefs de
gouvernement, ministres, conseillers des princes). « Fuis la
compagnie de ceux à qui tu ne veux pas ressembler » nous
aurait conseillé Rabelais. Et pour sauver nos consciences, nous
quittons en urgence l'UNEF pour créer le groupe anarcho-coluchien
HOU « Hors d'oeuvres universitaires », avec les meilleurs
amis du monde, rencontrés à Nantes lors d'une mémorable grève
générale universitaire de l'hiver 1980, pour les droits des
étrangers déjà. Le groupe HOU eut un rayonnement réel à Nantes,
mais qui ne dura pas après nous. Caramba, encore raté ! Mais
ce fut la matrice irremplaçable d'amitiés agissantes qui durent
toujours.
Documentation
originale :
1982-1986 :
LES ACTIONS Á L'EST DERRIÈRE LE RIDEAU DE FER
Dans
notre jeunesse le monde occidental considérait que l'empire
soviétique brejnevien pourrait encore tenir mille ans grâce à
l'équilibre de la terreur nucléaire, et alors que la moitié de la
gauche française trouvait globalement positif et inspirant le bilan
du marxisme-léninisme. Ne parlons pas de la droite qui s’accommodait
très bien du communisme autoritaire.
C'est
alors que nous sommes partis à l'assaut les mains nues contre
l'empire de l'Est. Nous : une poignée de militants italiens et
belges du Partito radicale, d'objecteurs de conscience espagnols et
le groupe nantais « HOU-Partito radical ».
Nous
n'étions pas des experts géopoliticiens, mais nous avions compris
cette intuition neuve : que le système soviétique de contrôle
hermétique de tous était condamné à dépérir face à l'arrivée
des nouvelles technologies de communication et de persuasion. En 1982
à Moscou et dans les grandes capitales de l'Est, en 1985 en
Yougoslavie, en 1986 en Pologne, nous sommes arrêtés par la police,
parfois emprisonnés un bref instant, jugés, condamnés, expulsés.
Mais nous prouvons qu'à ce moment spécifique les pouvoirs policiers
du KGB ne peuvent plus se permettre de réprimer comme avant des
manifestations de jeunes gens décidés.
Et
nous n'étions pas seuls, bien entendu, car l'aspiration à la
liberté est irrésistible. Très vite, c'est le centre même du
pouvoir soviétique qui en tirera les conclusions qui s'imposaient en
tentant de sauver le régime par la démocratisation de la
perestroïka et par le renoncement historique à la force qui se
conclura par la Chute du mur de Berlin. Nous avions gagné !
(Même si presque personne ici en France n'a connu nos aventures).
Faut-il
en conclure que nous avions changé l'Histoire selon nos vœux ?
Et non. Caramba encore raté ! Car au lieu d'unifier l'Europe en
sauvegardant les protections sociales héritées du socialisme tout
en y ajoutant l'autogestion démocratique, voici qu'apparurent
immédiatement les prédateurs occidentaux : privatiseurs de
biens publics, experts du FMI dépeçant l'Est de l'Europe avec la
complicité des cadres communistes corrompus, généraux de l'OTAN,
marchands de médias pourris et d'entertainment, patrons de
super-marchés made in France, idéologues du néo-libéralisme. Au
risque de créer des souffrances sociales immenses pouvant nourrir la
tentation de l'autoritarisme de type poutinien.
Documentation
originale :
1983-1989 :
CONTRE LES COMPLICITÉS NANTAISES POUR L'APARTHEID SUD-AFRICAIN
Alors
que la gauche antitotalitaire, celle d'un Albert Camus, doit savoir
s'opposer simultanément au communisme autoritaire et au fascisme,
notre génération n'avait pas eu à résister à ce dernier.
Mais
en ces années 1980, le fascisme avait un visage mondial et nantais :
l'apartheid sud-africain.
Mondial
parce que le monde était suspendu à l'hypothèse d'une explosion
violente en Afrique du Sud, qui aurait débouché sur un conflit
inextricable comme en Palestine et une guerre civile inexpiable.
Nantais,
car la mairie de droite élue à Nantes, après avoir supprimé sa
subvention à une commémoration du Code noir esclavagiste, était
réputée avoir des contacts privilégiés avec le régime raciste
sud-africain, tandis que la Chambre de commerce de Nantes n'hésitait
pas à dépêcher des missions commerciales dans le seul pays
officiellement raciste, malgré les consignes de boycott de l'ONU et
de la société civile mondiale.
Relisant
les archives, je suis surpris par l’opiniâtreté de nos actions
organisées par le HOU sous le nom de « Conscience noire de
Nantes » (actions de s’enchaîner devant la mairie de Nantes,
veillées de Noël sous le bureau du maire, démarches diverses).
Nous n'avons jamais cédé.
Aujourd'hui,
il est facile de dire que Mandela devait être gentiment libéré
sous la pression des milieux économiques blancs de Pretoria. Pour
parvenir à ce résultat inouï et au droit de vote des Noirs, il
avait fallu une extraordinaire mobilisation du monde entier pour
isoler économiquement l'apartheid. Une mobilisation longue,
difficile, mais qui a pleinement réussi et qui fait honneur au
concept de Gandhi de non-collaboration avec l'adversaire.
L'histoire
officielle ne retient que les échecs : les sanctions
diplomatiques ratées de la SDN avant 1939, les illogiques "sanctions
économiques" associées à des bombardements épouvantables de
civils de messieurs Bush père et fils, au Moyen-Orient et en
ex-Yougoslavie.
Mais
nous, on ne pourra pas nous enlever que nous avons participé
concrètement, là où nous étions, à la grande révolution
pacifique qui a terrassé l'apartheid. (Et que nous attendons
toujours l'invention d'un art social qui un jour donnera à la
non-violence radicale une dimension dramatique et épique, capable
d'enchanter les imaginaires, et pas seulement à la photogénie de la
violence guerrière fascinée par le pire.)
Documentation
originale :
1980-1989 :
LA RENCONTRE DU PARTITO RADICALE ITALIEN
Nous
l'avons tant aimé, ce parti radical transalpin. Il s'inscrivait dans
une tradition politique très spécifique de la vie politique
italienne : férocement libre penseur et libertaire,
antimilitariste et anticlérical, également antifasciste et
anticommuniste. Une tradition sur laquelle avait réussi la greffe
improbable et extraordinairement féconde de la pensée pratique et
théorique de la non-violence de Gandhi.
De
fait, cette petite formation animée par seulement quelques centaines
d'activistes avait littéralement gouverné l'Italie en imposant son
agenda politique et médiatique, notamment pendant les années 1970,
remportant victoire sur victoire, surtout dans les domaines des
droits sociétaux : droit au divorce, à l'objection de
conscience, au vote à 18 ans, à l'avortement-contraception, abandon
du programme nucléaire, droit des homosexuels, des transsexuels, des
drogués, des prisonniers, refus efficace de la dérive autoritaire
des « années de plomb » antiterroriste.
Le
génie spécifique de ce petit parti provenait selon la presse du
charisme de son génial porte-parole, Marco Pannella, mais il tenait
d'abord à une originalité rare : ce parti de gauche était
dépouillé de toute gangue ou induration idéologique.
Chaque
année à l'automne, le parti était refondé à neuf au cours d'un
congrès ouvert à toutes les personnes de bonne volonté, autour du
vote d'une motion d'action annuelle qui définirait son nouvel
objectif politique choisi comme priorité du moment, un peu comme un
parti « autobus » qu'on emprunte ponctuellement pour
rejoindre l'arrêt suivant, mais pas forcément pour suivre tout
l'itinéraire.
En
fait, le Partito radicale avait renouvelé les termes de la fameuse
distinction classique de Max Weber entre « éthique de
conviction » et « éthique de responsabilité », que les
penseurs paresseux attribuent souvent, l'une à la « gauche
contestataire », éternellement « impuissante »,
l'autre à la « gauche gestionnaire », puissante mais
embourgeoisée et velléitaire, ou même devenue carrément
néo-conservatrice.
Or
le Parti radical italien avait dépassé l'éthique de conviction
(qui, le plus souvent à gauche et à l'extrême-gauche, n'est qu'une
morale cléricale de pureté idéologique et de religiosité) pour
fonder une véritable éthique de « responsabilité » (de
responsabilité nue sans jamais chercher le confort du pouvoir
institutionnel, de pauvreté « franciscaine », de choix
du « pouvoir de » plutôt que du « pouvoir sur »,
de convaincre plutôt que vaincre, telle était la force de Pannella
et de ses amis).
Ainsi
le Partito radicale était apte à gagner des victoires politiques, à
coaguler des majorités émancipatrices, car il savait à merveille
traverser, sans amour propre déplacé ni crainte de se perdre,
toutes les diversités culturelles et politiques, et contraindre
cordialement les adversaires à devenir des partenaires (ce qui
réalise l'idéal de la conflictualité démocratique maximale, y
compris dans la lutte de classes des exploités et dominés).
Quand
nous l'avons rencontré, au début des années 1980, le Partito
radicale avait décidé de dépasser les luttes sociétales
italiennes, où il avait pourtant tellement excellé, pour
s'affronter à un grand objectif universel, la cause de la survie des
millions de massacrés par la faim et le sous-développement, un
combat qu'il voulait porter à la dignité de nouvel antifascisme
pour notre temps.
Cette
intuition était juste, mais le Partito radicale devait y essuyer sa
première grave défaite, car personne n'avait imaginé que deux
ennemis implacables feraient tout pour le faire échouer en Europe :
la Commission européenne et le nouveau gouvernement Mitterrand
parvenu au pouvoir en France en 1981.
Mais
le Partito radicale avait décidé de s'internationaliser en « Parti
radical transnational non-violent » et nous étions volontaires
enthousiastes pour que notre groupe nantais en soit une tête de pont
exemplaire à l'extérieur de la péninsule italienne.
Puis
à partir du milieu des années 1980, le Partito radicale a déçu
trois fois.
Une
première fois en abandonnant sa culture de motion d'action annuelle
remplacée par un pur chantage à la fermeture du parti, s'il
n'obtenait pas un certain quota chiffré de nouveaux adhérents.
C'était là prendre le risque de transformer la nature profonde du
parti : de moyen pragmatique il devenait alors un but déifié,
comme n'importe quelle banale bureaucratie, et cela risquait
d'entraîner forcément une épaisseur supplémentaire illisible
avant d'aller directement aux objectifs.
Une
deuxième fois, quand l'idéal fédéralisme européen du Partito
radicale a pris une accentuation de moins en moins axée vers un
geste révolutionnaire constituant des peuples unis du Vieux
continent, mais vers une tournure de plus en plus acritique face à
la dictature économiste de la Commission de Bruxelles et des
gouvernements de rigueur néo-libérale et libre-échangiste des
années 1980 et 1990, transformant implacablement l'idéal européen
en un cauchemar autoritaire justifiant la destruction et la
déréglementation des droits sociaux et l'imposant juridiquement
sans que les peuples devenus superflus ne puissent s'y opposer.
Une
troisième fois lorsque le Parti radical s'est prêté à un « coup »
politique en aidant l'odieux Silvio Berlusconi à se saisir du
pouvoir en Italie, sur les ruines de la Démocratie chrétienne et du
PSI discrédités.
Ainsi,
notre cher « Partito » avait déçu. Il avait subi, lui
aussi ,la malédiction qui avait frappé ce qu'on appelait assez
bêtement la « deuxième gauche » en France, comme la
CFDT autogestionnaire, passé de syndicat le plus à gauche à celui
le plus à droite. Une malédiction qu'on avait observée également
dans la ligne éditoriale des journaux Libération, Le Monde, le
Nouvel Observateur, de la revue Esprit, ayant tous renié
vers 1980 et 1990 l'aspect démocratique et libertaire d'une exigence
antitotalitaire pour un ralliement pur et simple à l'ordre
néo-libéral et atlantiste, qui triomphait alors dans le monde
entier.
« Caramba,
encore raté », nous étions donc orphelins, même si avons
évidemment continué à aider les batailles exemplaires du Partito
radicale contre la peine de mort dans le monde et pour une Cour
pénale internationale permanente jugeant les dictateurs.
Documentation
originale :
1989
Á MAINTENANT : POUR L'AMOUR DE NANTES, « NANTES C'EST
CAPITALE ! » ET LE RECREUSEMENT DE L'ERDRE, « NANTES
EST UNE FÊTE » (NEUF) , OBSLAB.
En
1989, dans la continuation du groupe HOU et désormais émancipés du
Partito radicale, nous lançons une campagne centrée désormais sur
notre territoire de vie, la ville de Nantes. Nous imaginons une puis
deux campagnes municipales sans présenter de listes, afin
d'influencer et d'interpeller les partis dominants : « Nantes
C'est Capitale ! » en 1989, « Nantes Est Une Fête »
en 1995 (N.E.U.F.) qui deviendra ensuite une association toujours
active actuellement.
Notre
plan est cohérent : comme les surréalistes et les
situationnistes, nous voulons dépasser les frontières de la poésie
pour atteindre la politique, et vice-versa. Nous lançons bruyamment
un thème qui va durer, celui du recreusement des cours de la Loire
et de l'Erdre, comblés sous terre un demi-siècle plus tôt par des
technocrates indifférents à l’esprit des lieux. Sur plusieurs
autres thèmes culturels et sociaux, nous revendiquons l'esprit de
révolte anarcho-syndicaliste et soixante-huitard du pays nantais.
Nous le mettons en scène avec un certain succès au cours de
quelques exploits médiatiques.
Sous
des dehors fantaisistes et mouvementistes, nous sommes profondément
constructifs et ne demandons qu'à être récupérés par le pouvoir
municipal. Malheureusement, nous tombons au plus mauvais moment, à
l'arrivée d'une nouvelle dynastie électorale nantaise bénie par la
décentralisation mitterrandienne, marquée par une certaine culture
paranoïaque selon laquelle « Qui n'est pas avec moi est contre
moi », et nous n'arriverons jamais à dialoguer utilement avec
elle. D'autant plus que nous faisons très peur avec notre refus de
toute subvention.
Mais
cet amour de Nantes se poursuivra sans arrêt sous de multiples
formes, notamment avec les Fêtes des langues (voir plus bas), avec
les Marches de mémoire (Résistance dans le quartier de Chantenay,
Mouvement ouvrier, Poésie grecque) et avec la création de l'OBSLAB
(Observatoire-laboratoire de la démocratie locale en pays nantais,
fusionné avec NEUF, qui faisait suite à une vaine tentative de
rapprocher les écologistes locaux et le Front de gauche). Sans
oublier non plus les enquêtes originales de mes élèves sur la vie
à Nantes pendant la Seconde guerre mondiale.
Documentation
originale :
1995 :
LA TRANSPARENCE AUTOMATISÉE DES COMPTABILITÉS PUBLIQUES SUR
INTERNET
Lors
de notre campagne municipale sans liste de « Nantes est une
fête », nous proposons entre autres que Nantes puisse être la
première ville au monde à expérimenter un dispositif
révolutionnaire.
Il
s'agit de rendre lisible immédiatement le détail des comptabilités
publiques sur internet (et comme en 1995 internet n'était pas encore
généralisé, on disait aussi « et sur minitel »), grâce
à des logiciels adaptés rendant facile pour le citoyen toute
requête par mot-clefs. Exemples : la connaissance en temps
réels des dépenses des travaux d'un chantier public devant chez
moi, l'état des virements relatifs à un marché public ou d'un
versement de subvention à l'école des mes enfants ou à un club
sportif, etc.
Il
ne s'agissait que d'actualiser à notre temps l'article 14 de la
Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 : « Tous les
Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs
représentants, la nécessité de la contribution publique, de la
consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la
quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »
Aujourd'hui,
la divulgation de données publiques très utiles mais assez
innocentes (les horaires d'une ligne de bus, les relevés de
l'analyse des eaux d'une piscine publique) sont volontiers mis en
ligne de façon conviviale, dans le cadre de ce qu'on appelle
désormais l' « Open Data ».
En
revanche, plus de vingt ans après notre proposition de NEUF, aucun
partisan de l'Open data ne s'est risqué à la reprendre. Il est vrai
qu'elle créerait un précédent fâcheux, si les citoyens
réclamaient par ce biais la transparence des flux financiers privés
et corrupteurs transitant dans le monde entier.
Ce
qui s'est passé : en 1995, le député-maire de Nantes qui
allait devenir premier ministre plus tard nous a fait savoir par
courrier référencé qu'il adoptait notre proposition et l'intégrait
à son programme municipal. Un peu plus tard quand il fut réélu
pour un deuxième mandat, il nous fit savoir sans ambages qu'il n'en
ferait rien. (Et, coïncidence, je devais perdre à ce moment un
emploi dans un organisme culturel para-municipal).
Plus
tard, l'association NEUF a contacté la Commission européenne par le
biais de l'administration de madame Emma Bonino, mais sans résultat
tangible. Si bien que l'idée d'une transparence automatisée des
comptes publics reste une grande idée en jachère, encore intacte et
neuve pour qui voudra.
Documentation
originale :
1997-2004 :
LE « RÉVEILLON DU 1ER MAI » POUR LA TAXE TOBIN ET CONTRE
LES MARCHÉS FINANCIERS, INDIRECTEMENT AUX ORIGINES D'ATTAC.
C'est
alors que NEUF décide de se déterritorialiser courageusement vers
le grand large, de passer du local au global, puisque nos
possibilités d'agir à Nantes deviennent limitées, en raison de la
très faible ouverture des pouvoirs locaux, mais aussi d'un
changement perceptible dans l'accès aux médias locaux.
En
1997, nous avions entendu parler de taxe Tobin (l'idée d'une taxe
minime et répétée automatiquement, ne gênant pas le commerce
réel, mais dissuadant efficacement la recherche de profits par la
multiplication de micro-flux spéculatifs, rendus désormais
possibles par l'informatique financière).
L'association
NEUF décide donc d'instaurer un événement revendicatif de type
nouveau, « Le Réveillon du 1er mai », devant la Bourse
financière de chaque pays. Pour nous ce sera Paris, devant le Palais
Brongniart, où nous irons courageusement pendant sept années, la
veille de chaque 1er mai revendicatif de la Fête des travailleurs.
Nous
voulons que ce rassemblement soit sans violence, sans argent, sans
organisation dirigeante, qu'il préfigure ce qui sera plus tard
popularisé comme « Zone d'autonomie temporaire », et
autres « Reclaim the street ».
Nous
aurons beaucoup de difficultés : pour mobiliser à Nantes et
pour affréter nos autocars, pour nous faire connaître dans les
médias, pour trouver des partenaires fiables à Paris autres que des
provocateurs cagoulés venant casser les vitres de la Bourse et le
mobilier urbain. Également pour étendre notre mouvement à la
planète entière, ce qui n'arriva guère, à l'exception notable
d'amis québécois qui deux années durant ont repris le Réveillon
du 1er mai devant la Bourse de Montréal. Mais il y eut de très
beaux moments de créativité. Et puis nous avions créé la première
manifestation au monde pour la Taxe Tobin.
Nous
n'avions pas vocation à rester propriétaires de cette belle idée.
J'avais alors écrit une lettre aux directeurs de deux journaux qui
me semblaient éventuellement aptes à prendre la tête d'une
campagne d'ampleur pour la Taxe Tobin : Jean-François Kahn de
Marianne et Ignacio Romanet du Monde diplomatique. Ils
ne me répondirent jamais, mais le second devait créer un coup de
tonnerre dans un célèbre éditorial, l'année suivante, en appelant
à créer l'« Association pour une taxe Tobin d'aide aux
citoyens (ATTAC)», une idée qui séduisit immédiatement des
milliers de volontaires partout en France et même à l'étranger. La
société civile sidérée par la dictature des marchés financiers
se réveillait enfin.
Il
se trouve que NEUF fut invitée à participer aux ultimes réunions
au sommet de la création officielle de cette organisation, au
printemps 1998, alors que nous travaillons déjà sur le Deuxième
réveillon du 1er mai.
Jamais
une initiative de NEUF n'avait eu une telle retombée indirecte.
Mais, « caramba, encore raté ! », nous avons vite
compris que Le Monde diplomatique, pour institutionnaliser
ATTAC, avait fait appel à un groupe de permanents de syndicats et de
grandes associations subventionnées, souvent à multiples casquettes
et habituée aux fonctionnements verticaux.
D'autre
part, le péché originel d'ATTAC était un très grave contre-sens
sur le caractère anticapitaliste radicalement révolutionnaire de la
réforme Tobin, destiné à éradiquer définitivement un segment
particulièrement nocif des marchés financiers spéculatifs. ATTAC
trahissait l'idée de James Tobin pour la rabaisser à un vulgaire
pourvoyeur de recettes fiscales supplémentaire destinées à des
pansements sociaux.
Imaginez
un ingénieur qui inventerait un type de frein pour véhicules poids
lourds et qui annoncerait sans complexe : Attention, mon frein
ne sera jamais inefficace, il n'arrêtera rien, mais comme il
produira de la chaleur, vous pourrez la récupérer pour chauffer la
cabine...
Si
bien qu'ATTAC après avoir nourri des espoirs considérables, décevra
beaucoup, en se perdant dans des sommets altermondialistes comme à
Porto Alegre qui consacraient la séparation entre une jet set
militante privilégiée et les adhérents de base, privés de
propositions concrètes pour interpeller intelligemment les élus (on
était à l'époque du gouvernement Jospin), et finira par se
déconsidérer à la suite d'un sombre conflit interne au sommet.
ATTAC nous avait inutilement occupé les mains pendant huit
fastidieuses années (à l'exception de l'Appel des Résistants, voir
plus bas).
Caramba,
encore raté. Là encore, tout est à refaire.
2000
À MAINTENANT : LA FÊTE DES LANGUES DE NANTES
Exceptionnellement,
voici une idée qui n'a pas été inventée à Nantes.
Nous
avions remarqué que les occitanistes créatifs du Carrefour culturel
Arnaud-Bernard, à Toulouse, animé par l'infatigable Claude Sicre du
groupe de rap Les Fabulous trobadours, avaient compris que s'ils
voulaient défendre la langue occitane, il faudrait refuser tout
repli isolationniste, et s'ouvrir sur toutes les langues parlées
dans une grande métropole cosmopolite comme Toulouse, au cours d'une
Fête de plein air.
Ils
accueillirent aussitôt cordialement notre proposition de développer
la même idée à Nantes.
Et
voici donc La Fête des
langues de Nantes :
« L'occasion
de réunir toutes les langues du monde, du breton à l'arménien, de
l’espéranto au berbère, du coréen à la langue des signes...,
comme toutes les soeurs d'une grande république universelle.
La
Fête des langues, c'est l'organisation simple de tables de
conversations, une par langue parlée à Nantes, ouvertes à tous les
passants, autour de quelques objets, livres, dessins, photos,
chansons, ateliers de calligraphies ou dégustations gratuites.
Un
rendez-vous singulier qui rassemble chaque année à la mi-juin 30 à
40 langues différentes usitées à Nantes et des centaines de
visiteurs.
La
Fête des langues : Le moment où Nantes se révèle joliment
cosmopolite et multiculturelle, comme ville-port, ville d'accueil, où
le monde entier se retrouve.
La
Fête des langues : Pour résister, dans la fête et par l'amitié, à
tous les replis nationalistes et ethnicistes, et pour remercier les
immigrés qui nous apportent ici même leur plus beau cadeau : une
culture (à partager ensemble, pour s'enrichir sans s'appauvrir) !
Une
belle occasion (entièrement gratuite !) de voyage, de culture, de
fraternité et d'amitié. »
Il
n'est d'ailleurs pas complètement exact que NEUF n'a rien inventé
dans le concept de Fête des langues, car il l'a enrichi d'une option
riche de sens : montrer qu'un tel événement d'ampleur peut se
réaliser entièrement par l'autogestion des bonnes volontés
créatives, en toute gratuité, c'est à dire sans devoir mendier une
quelconque subvention aux pouvoirs locaux, reprenant ainsi la vieille
intuition des Bourses du travail de la Belle époque. D'abord savoir
compter sur ses propres forces est aussi une manière de libérer les
forces créatives.
Cette
fête nous a procuré de très grands moments de joie et de
fraternité, y compris lors de deux parades de rue. Notre seule
frustration a été ne pas pouvoir consacrer plus d'énergie à créer
un réseau mondial de villes-fêtes des langues (comme nous l'avons
tenté avec succès en aidant à la création d'une Fête à
Thessalonique, en Grèce, voir plus bas).
Documentation
originale :
2002 :
LE PREMIER BUREAU DE VOTE « BIS » ET REFERENDUM SAUVAGE
EN FRANCE
Lors
du premier tour des législatives suivant immédiatement
l'élimination de Lionel Jospin à la présidentielle de 2002,
l'association NEUF décide d'inaugurer un dispositif inédit en
France (mais qui a été éprouvé plusieurs fois chez les Espagnols,
plus avancés que nous dans ce domaine).
Il
s'agit de saisir l'opportunité d'un scrutin national pour lui
ajouter des bureaux de vote militants « bis », invitant
les électeurs à se prononcer sur des questions d'initiatives
citoyennes, que les grands partis ne souhaitent pas forcément voir
posées.
À
Nantes, nous choisissons le périmètre des bureaux de vote de
l'école de la Mutualité à Chantenay, ce qui correspond environ à
8000 électeurs, qui reçoivent préalablement à leur domicile une
explication et un bulletin de vote composé d'une quinzaine de
questions d'intérêt général et local.
En
dépit des hostilités que nous rencontrons, cette expérimentation
montre une dynamique certaine, avec plusieurs centaines de votants,
dont les votes sont dépouillés le soir même et envoyés aux
médias.
Documentation
originale :
2004
À MAINTENANT : APPEL À CÉLÉBRER ET ACTUALISER LA MÉMOIRE DU
PROGRAMME SOCIAL DE LA RÉSISTANCE (CNR), L'APPEL DES RÉSISTANTS AUX
JEUNES GÉNÉRATIONS
À
l'automne 2003, l'association NEUF s'avise que le célèbre programme
du Conseil national de la Résistance aura 60 ans en l'an 2004, un
chiffre rond, alors que de grands témoins et acteurs de la
Résistance anti-nazie sont toujours vivants et actifs.
Ce
serait l'occasion de réaliser un passage de générations, de donner
quelque chose à admirer aux jeunes d'aujourd'hui pour réenchanter
leur ciel politique déserté, de rendre hommage à la capacité
délibérative et volontariste de la Résistance, et de prendre à
témoin l'opinion publique des destructions du socle de droits
hérités de 1944, 1945 et 1946.
Donc
NEUF reprend son inlassable rôle discret de lanceur d'idée, de
diffuseur pollinisateur, d'émetteur de mini-tracts et de mails
lancés à l'aveugle.
Et
cette fois-ci, le message ne tombera pas dans le vide, car il sera
repris par Jacques Nikonoff, à l'époque président d'ATTAC, qui
trouve l'idée superbe, décide de la faire porter par ATTAC
au plan national, et pour cela me confie la mission de gérer ce
dossier avec un sympathique professeur d'histoire breton, Michel
Gicquel.
S'il
y a bien eu une modeste idée de NEUF qui a provoqué une réaction
en chaîne, c'est celle-ci, car il y eut successivement :
-
un Appel des Résistants aux jeunes générations, proclamé à Paris le 8 mars 2004, dont j'avais été le principal rédacteur, et l'occasion formidable pour moi de rencontrer Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Jean-Pierre Vernant...
-
un colloque et de nombreuses manifestations en régions,
-
plus tard un rassemblement annuel sur le plateau des Glières, avec le collectif Citoyens Résistants d'Hier et Aujourd'hui, et les films inspirés du cinéaste Gilles Perret,
-
et puis encore une retombée surprenante avec le succès planétaire du petit livre « Indignez-vous » de Stéphane Hessel, qui n'a pas été sans influence sur l'émergence des mouvements « Los indignados », « Occupy » et « Podemos », partout dans le monde.
Non,
la flamme de la résistance n'était pas éteinte.
Et
on ne pourra pas dire que NEUF n'a rien provoqué, car c'est au moins
arrivé une fois (même si la plupart des personnes l'ignorent).
Il
y a aussi dans cette histoire une anecdote personnelle. Il se
trouve que j'ai toujours été touché par la figure de l'écrivain
raté, ridicule mais touchante, comme ces poètes affamés du XVIIème
siècle qui hantaient les salons des Précieuses ou ces amants
solennels de la littérature pure, mais qui n'avaient jamais rien
publié, que Borges croisait dans la Buenos Aires du début du XXème
siècle. Comme eux, je le suis et je le revendique en souriant. Or il
se trouve que « Indignez-vous ! » est un montage de
textes de Stéphane Hessel parachevé par son éditeur, dans lequel a
été intégré l'Appel des Résistants de 2004, dont j’avais écrit
la plupart des phrases. C'est ainsi que je suis le seul « écrivain
raté » qui ait été involontairement le passager clandestin
d'un best-seller mondial, auteur anonyme de fragments de ma main,
traduits en 34 langues, et vendus dans le monde à quatre millions
d'exemplaires. Drôle de performance méconnue !
Documentation
originale :
2004 :
« DÉCAPOL », OU DIX DROITS POLITIQUES NOUVEAUX, COMME UN
DÉCALOGUE D'UNE NOUVELLE DÉCLARATION DES DROITS HUMAINS, POUR LE
SIÈCLE QUI VIENT.
En
2004, au moment d'abandonner les rassemblements physiques du
Réveillon du 1er mai à Paris, pour les transformer en rendez-vous
virtuel permanent, nous décidons de fixer un certain nombre
d'intuitions ramassées dans un texte le plus court possible. Après
la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 et la Déclaration
universelle de 1948, voici la troisième déclaration, absolument
inconnue du public.
On
y trouve quelques idées neuves, comme celle d'un droit à
l'initiative politique des jeunes, d'un droit de retrait face aux
abus de la communication des écrans électroniques, protégeant la
liberté de conscience, etc.
Documentation
originale :
2011 :
APPEL « JE SUIS GREC », INTERNATIONALE ADELPHIQUE
Au
cours de l'hiver 2011, avec mon ami Gilles Gelgon et nos compagnes,
nous cherchons comment nous solidariser avec le peuple grec martyrisé
par les diktats économiques de la Troïka (Commission européenne,
Banque de Francfort, FMI).
Nous
décidons de lancer un Appel de Nantes invitant à se déclarer
citoyen grec, par solidarité.
Très
vite, cette initiative devient étonnamment célèbre en Grèce car
elle avait touché le cœur des citoyens grecs humiliés. Nous voici
recevant de très nombreux hommages émus, des demandes d'interview
de la presse grecque, des invitations à venir sur place ou à être
déclaré citoyens d'honneur, etc.
Il
nous en restera une responsabilité particulière, qui débouchera
sur le lancement d'une Fête des langues à Thessalonique, grand port
grec du nord, et sur la création d'une ambitieuse « Internationale
adelphique ».
(Rappel :
le mot d'origine grecque « adelphique » trouvé par
hasard au cours d'un échange radiophonique avec notre amie Réa
Moumtzidou, renvoie à l'idée de jumelage, mais surtout à l'idée
de frère/soeur, fraternité/sororité, sans distinction de genre :
« Liberté-Égalité-Adelphité » !)
Documentation
originale :
ET
LES VIOLENCES POLICIÈRES ?
On
pourrait achever ici ce déjà trop long parcours, sans oublier
toutes les mobilisations auxquelles nous n'avons pas manqué de nous
associer dans le grand concours anonyme des bonnes volontés ne
cherchant pas à se singulariser à tout prix :
-
luttes anti-nucléaires,
-
soutien aux réfugiés Sans-papiers,
-
résistance à l'implantation d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, où s'illustre le singulier génie politique de la paysannerie du pays nantais,
-
résistance à la purification ethnique en ex-Yougoslavie,
-
mouvements revendicatifs et syndicaux des salariés,
-
mouvement des désobéisseurs, et notamment des enseignants refusant le fichage numérique des élèves,
-
la Nuit Debout.
Mais
on ne peut conclure sans parler du soir du 27 novembre 2007, alors
qu'une manifestation lycéenne devant le Rectorat de Nantes était
achevée, lorsqu'un policier nantais trouva bon de dépenser sa
dernière balle en visant sciemment le visage de mon jeune fils âgé
de 16 ans, avec son flash-ball LBD de nouvelle génération : un
instrument pervers dont nous apprenions, en même temps que son
existence (monsieur Sarkozy venait de le mettre discrètement en
« expérimentation ») son extrême dangerosité, basée
non pas sur une imprécision des tirs, mais au contraire sur une
extrême précision des visées électroniques.
De
ce crime inaugural, il fallu tenter de relever le défi, et d'abord
en tentant d'épargner à d'autres familles ce qui nous était
arrivé. Ce fut un combat harassant et souvent désespérant, au
cours duquel nous avons quand même réussi à braver la résignation
et l'intimidation en mettant en place un réseau national des
familles et amis des victimes de la violence policière, à travers
l'Assemblée des blessés.
Mais
de tout cela, c'est mon enfant devenu grand qui en parlerait le
mieux, notamment dans son ouvrage : Pierre Douillard-Lefevre,
L'arme à L'oeil. Violences d'État et militarisation de la
police. (2016, Éditions du Bord de l’eau, format : 12x19, 90
pages, ISBN : 9782356874641, 8.00 € ).
Documentation
originale :
EN
CONCLUSION
On
ne dira jamais trop dans ce parcours le poids décisif des affinités
électives et du moteur irremplaçable de toute action politique :
l'amitié entre nous.
Nous
venons donc de résumer 40 années de belles tentatives, qui n'ont
certes pas fait mentir notre citation liminaire de Samuel Beckett :
« Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie
encore. Échoue encore. Échoue mieux. »
Mais
avant de nous quitter, nous citerons un autre écrivain, grec
celui-ci, Ménis Koumandarèas, mort il y a deux ans, qui disait :
« Si on ne peut pas changer
le monde, on peut au moins le tenir éveillé ».
Luc
Douillard
Documentation
originale :